samedi 14 décembre 2013

Oldboy

Que cherchait donc Spike Lee en réalisant le remake us d'« Old Boy », chef d'œuvre visuel et narratif de Park Chan-wook, lui-même adapté du manga de Tsuchiya Garon de 1997 ? Exporter un « propos » ? Déjà fait si l'on en croit les millions de dollars amassés au box office international par le produit original. Se racheter une conduite après avoir réalisé des films méconnus à la critique partagée (« Miracle à Santa Anna », « Red Hook Summer ») et s'être mis à dos son public avec des déclarations à l'emporte-pièce ? Déjà plus probable.
Spike Lee n'étant plus que l'ombre de lui-même depuis quelques années, à un ou deux documentaires près, le compteur impatience est en tout cas loin d'être au plafomètre. Pour ce remake longtemps dévolu à Spielberg (réalisateur) et Will Smith (acteur principal) avant que le sort n'en décide autrement (un imbroglio autour des droits d'adaptation), c'est Mark Protosevich (« Thor », « Je suis une légende ») qui s'est occupé du scénario. Autrement dit, rien de bien rassurant à l'horizon. Et ce n'est pas non plus la bande-annonce du film, parue en juillet 2013 sur la toile, qui attisait notre curiosité. « Oldboy » est attendu dans les salles le 1er janvier 2014 et est heureusement doté d'un casting plutôt impressionnant : Josh Brolin dans la peau du héros kidnappé, Sharlto Copley dans celle du bad guy, Elizabeth Olsen en premier rôle féminin et Samuel L. Jackson, 20 ans après « Jungle Fever ».
Synopsis Allociné : Fin des années 80. Un père de famille est enlevé sans raison et séquestré dans une cellule. Il apprend par la télévision de sa cellule qu'il est accusé du meurtre de sa femme. Relâché 20 ans plus tard, il est contacté par celui qui l'avait enlevé…
Si « Old Boy » version coréenne est si réussi, c'est avant tout pour son côté insolent, amoral et manipulateur, sa noirceur dérangeante, son romantisme transgressif et sa puissance émotionnelle que ne renieraient certainement pas les cousins occidentaux Quentin Tarantino et David Fincher. La virtuosité de la mise en scène (la composition des plans, la BO frénétique, le rythme survolté et le montage nerveux, les décors surréalistes, la fameuse baston en travelling plan-séquence) parachevait de nous combler.

Passé au fourneau hollywoodien (le terme « fourneau » est plus qu'adéquat lorsqu'on sait que le film de Spike Lee a été écourté d'1h25 par le studio afin de rechercher le choc d'une série B avant tout, et ce contre la volonté du metteur en scène afro-américain), « Oldboy » devient hélas terriblement insipide, lisse et aussi inoffensif qu'un bébé panda, d'autant plus que son récit original est aujourd'hui connu de tous et son twist cruel révélé. Ainsi, les motifs justifiant l'enfermement du héros sont ancrés dans les mémoires, Mark Protosevich s'amusant simplement à modifier quelques micro-détails ici et là sans raison apparente (le nombre d'années de captivité par exemple qui passe de 15 à 20 ans) ... bravo le changement ! De même, si le personnage mentalement déboulonné de l'original, qui n'a pas su se reconstruire, terrassé par le poids du passé, est conservé, devenant ici un alcoolique violent envers son ex-femme, on est profondément déçu que Lee & Protosevich n'exploitent pas davantage le trauma et les hallucinations liées à l'enfermement (seulement l'apparition fugace d'un groom noir flippant).
Côté mise en scène, c'est le néant ou presque. Tandis que dans le film de Park Chan-wook, chaque plan, chaque sonorité était méticuleusement réfléchi, son homologue américain Spike Lee se montre constamment bourrin et démonstratif, avec abus de dialogues explicatifs et manque cruel d'inspiration. La réalisation a parfois de la gueule il faut l'avouer, mais c'est seulement lorsque l'homme derrière les excellents « Summer of Sam » et « La 25ème heure » se contente de reprendre les formules de l'original à l'identique (angles, cadrages, légendaire travelling plan-séquence, caractérisation et dégaines des personnages, lumière …). Pas grand chose à se mettre sous la dent donc. Et même l'excellent directeur photo Sean Bobbitt ne peut rien faire pour relever le niveau. Pis encore, certaines scènes sont involontairement drôles (le fils abusé qui se masturbe avant que son père ne le canarde), et l'ambiguïté morale du film de Chan-wook s'est évaporée lors du vol Séoul – Hollywood au détriment d'un propos tantôt manichéen et vulgaire, tantôt trop appuyé (l'aspect religieux avec les notions de châtiment et de pénitence lors du final). On note enfin que la violence – très présente dans l'original mais toujours ironique – devient ici désuet ou voyeuriste.
Quelques bonnes idées dispatchées à sauver tout de même : les nombreux événements de l'Histoire américaine qui se déroulent sous nos yeux lors de la période d'enfermement de Brolin et le casting impeccable : Brolin confirme tout le bien qu'on pensait de lui en prisonnier enfermé dans une piaule d'hôtel moisie, nourri comme un clébard, idem pour la très jolie Elizabeth Olsen (même si son rôle est plus discret que prévu), et mention pour Sharlto Copley, déjanté en bad guy.
Bilan : On attendait sans doute mieux d'un remake d'« Oldboy » par Spike Lee, réalisateur qui ne peut s'empêcher de délivrer un message contestataire lors de chaque film ou chaque intervention publique. Cette cuvée 2013 est aussi inutile que pénible, et si elle est techniquement relativement solide, elle ne dépasse jamais le statut de copié / collé du film coréen.
Anecdote : « Oldboy » de Park Chan-wook a été présenté en 2004 au Festival de Cannes et y a décroché le Grand Prix, la plus prestigieuse récompense après la Palme d'or. Lors de la conférence de presse qui a suivi l'annonce des résultats, le Président du Jury Quentin Tarantino confiait que le film avait failli obtenir la Palme d'or, mais que le jury lui avait finalement préféré, « à deux voix près », le documentaire « Farhenheit 9/11 » de Michael Moore.
 
La Bande Annonce d'Oldboy:
 
 
 
NOTE: 4/10

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